mardi 23 mars 2021

Le Neveu d'Anchise de Maryline Desbiolles aux éditions du Seuil



 

On a envie de regarder le beau visage de Chet Baker, d’aller trainer dans l’arrière pays niçois, peut-être même de courir à perdre haleine, d’avoir les jambes de Jesse Owens, d’être fils de, de renouer les fils de l’histoire, d’être homme, femme, enfant, de ne pas être assigné, d’être un roman.

C'était en 1999, Anchise était prix Fémina. A la rentrée de Janvier 2020, dans la famille Anchise, je demande le neveu...  Anchise toujours hante la maison, la mémoire presque comme une obsession, comme une "cinglerie". C’est aussi cette route, rue, chemin. Marilyne Desbiolles y revient comme si elle avait habité là toujours: la source maintenant cachée par la dalle de béton, les maisons et puis plus loin la cité de l’Ariane. Donc des gens, des paysages, de la rage aussi qui surprend tant elle est contenue souvent sous un soleil éclatant, les pierres et la végétation. Rien de paisible ici, ce serait se tromper de registre. Aubin, le jeune héros, vit avec sa famille et, sur le même terrain, la maison de sa tante propriétaire d’un chien Tyson, bête noire à dompter. Du prénom à la corpulence, Aubin et son corps, il court à perdre haleine, sans savoir de qui il est le nom, trop grand, trop maigre pour se contenir tout entier, pour être de la famille. Il trouve une trompette, rencontre Adel et ce sera l’amour comme feu par lequel s’immola Anchise « qui a brûlé d’amour à la lettre » ou piqure d’abeille qu’Anchise « extrayait négligemment de ses poches ». Le paysage est bouleversé par la construction de la déchetterie dont Adel est le gardien. Dessous est effacée la maison d’Anchise : « Nous ne sommes plus au temps des restes mais au temps des déchets ». Et puis la trompette vaudra bien la peine d’être jouée, de faire saigner les lèvres parce qu’il y a Chet Baker, sa musique et son histoire dramatique. L’art n’est jamais loin comme un havre. Maryline Desbiolles rend hommage  dans ses livres à des artistes, mais aussi à des figures simples effacées par les guerres, des migrants silencieux soudain éclairés au bord de la route par le gyrophare bleu d’une voiture de police. Un magnifique livre, un long poème vif, brûlant, une filiation indéniable avec Anchise, fille d'Anchise par l'écriture, c'est du Maryline Desbiolles.

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