mardi 16 novembre 2021

Des kilomètres à la ronde de Vinca Van Eecke aux éditions du Seuil

 

                                                                                                                          

  



 Ce Premier roman publié en Septembre 2020 par Vinca Van Eecke, est un retour aux sources d'une adolescence brûlante, à rebours du milieu familial "qui ne voyait pas d'un bon œil le zèle que je mettais à talonner des garçons dont ils ne fréquentaient pas les parents." Vinca Van Eecke construit un  mémorial à une étrange période qui sent le roussi, marquée au fer rouge dans sa chair. C'était un présent de corps enflammés, de vie pure sans sablier, d'instants de grâce. Elle a quatorze ans. C'est à la fête foraine qu'elle va rencontrer la bande, que va se sceller un pacte d'amitié et d'amour. La narratrice est  subjuguée par une planète à des kilomètres de son monde, parfumée aux canettes de bières, aux odeurs de moteurs de mobylettes. Ils seront comme des aimants puissants vers lesquels elle reviendra, impatiente, à chaque vacances puis les week-end. Amour pour Jimmy,  groupe soudé fermé dans un temps suspendu. L'ennui pourtant s'invite dans le village de L... son monument aux morts, sa mairie, son foirail...  Les corps adolescents y gravitent encerclés dans les murs de leur présent avant de faire de petits arrangements avec la vie à défaut d'un avenir tout tracé comme celui de la narratrice. Pourtant "Les postures je m'en foutistes devaient bien dissimuler autre chose, ils étaient faits d'une viande qui promet, ils seraient héroîques, ils seraient tragiques ou pathétiques, je n'en savais rien mais ils étaient romanesques."p 40.  On observe ces flambeurs, on les voit s'acharner à rester en dehors, à ne pas rentrer dans la danse, quitte à en mourir. Cette exceptionnelle liberté de l'adolescence, quand on a l'impression de décider de nos vies, quand les désirs sont puissants, elle explose là, dans les mots sensuels, la bande son, la vitesse de l'écriture de Vinca Van Eecke avant que la fureur s’étouffe comme un feu mal alimenté. Que leur était-il permis d'espérer? Tout la finesse du livre tient dans la faille qui se creuse progressivement, d'un discours politique que soudain on prend au sérieux, à la mort brutale de l'un d'entre eux, les contradictions ne peuvent plus tenir, on ne joue plus. Dans les derniers chapitres, le regard s'affute sur ces gars de L..., on sort du jeu romantique de l'adolescence pour regarder en face la vulnérabilité, l'avenir des relégués, des disqualifiés d'avance que fabriquent la France périphérique mais aussi les banlieues."La bourge" comme ils l'appellent gentiment sort de la posture égocentrée et regarde le gachis : " A trois cents kilomètres de là, l'horizon n'est pas bouché par le diagramme des tours mais le même silence couve des meurtrissures semblables. Relégué, disqualifié avant d'avoir eu le temps d'apprendre les règles du jeu, on fait cracher les baffles et on entonne le même rap." p 197. La route ne reste pas ouverte pour tout le monde.

Vinca Van Eecke écrit l'adolescence comme elle la sent, elle nous donne à voir et fixe sur nos rétines nos propres excès adolescents. Il y a de belles scènes inoubliables, beaucoup de nostalgie parce qu'au fond c'est l'ordre qui gagne et le train qui embarque laisse peu de place aux regrets. Soutenue par des souvenirs musicaux qui parleront aux oreilles des adolescents des années 80, le réalisme voire la crudité alternent avec un langage poétique. D'un rythme éffréné au début du livre on passe à une écriture plus introspective, à un rythme régulé par les actes du quotidien répétés, inscrits dans un ordre social  qui a repris le dessus. En route l'heroine perd beaucoup, jusqu'à ne plus comprendre ce qui avait soudé ces vies. Pourtant, elle avancera avec derrière elle des gens qui sont restés, inaccessibles mais intacts dans sa chair, victimes du déterminisme social.

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