dimanche 23 août 2015

Echapper de Lionel Duroy aux éditions Julliard

Lionel Duroy est né officiellement un 1er Octobre à Bizerte en Tunisie où son père était en poste. Il a toujours dit que ses vraies naissances étaient ailleurs, dans des circonstances dramatiques, en particulier quand ils ont été expulsés de leur appartement de Neuilly que leur père avait trouvé sans avoir les moyens de payer le premier loyer. En effet Lionel Duroy  s'appelle en réalité Lionel Duroy de Suduirant. Il est venu au monde de l'union d'un noble désargenté et d'une fille de négociant en vin bordelais qui voulait tenir son rang.  Ils eurent onze enfants et jamais d'argent. Il raconte les péripéties familiales dans un livre assez sidérant Le Chagrin. De cette écriture mêlant l'intime et les évènements exterieurs, Duroy se dévoile lui-même et ceux qu'ils côtoient. Séparé de sa première femme, il a quitté la deuxième, rejeté par ses frères et sœurs, repoussé par certains de ses enfants, sa vie est une succession de ruptures qu'il met inlassablement en scène, reconstruisant les évènements pour comprendre, échapper à la perte. Et ce n'est pas un hasard si le roman dont on parle aujourd'hui a ce titre. Il dit lui-même qu'échapper c'est croire encore possible de se libérer, de la souffrance, du tremblement intérieur. Et qu'est-ce qui sauve Lionel Duroy de la fin de son mariage avec Esther?  Un livre en particulier, la leçon d'Allemand de Siegfried Lenz. "La vie réelle est affreusement contrariante, Curtis, vous le savez bien, elle ne serait pas supportable sans les livres, ceux que nous lisons et ceux que nous écrivons". Le livre de Lenz raconte la vie du peintre Emil Nolde, une fiction qui l'a tellement habitée qu'il rêve de s'installer dans le pays où elle se déroule afin d'en écrire une suite. Il part donc à Husum pour retrouver des traces de cet homme dont l’héroïsme le fascine. Sa quête lui fera découvrir que persécuté par les nazis, Emil Nolde s'est compromis en écrivant une supplique à Goebbels afin de récupérer ses œuvres qu'on lui avait confisquées sous prétexte qu'elles étaient de l'art dégénéré. Là se développe un des thèmes du livre sur comment survivre à l'Histoire avec son histoire? Et puis, comme faisant écho aux pensées intimes de Lionel Duroy il y a le paysage de cette Europe du Nord, fait de ciels d'orages et de digues battues par la mer et les vents, que l'homme reconstruit inlassablement pour ne pas céder ...à la mer, à sa folie. Il s'attarde sur l'amour de Emil Nolde avec Jolanthe une très jeune fille, après la mort de Ada sa première femme. Lenz n'en avait pas parlé dans son roman mais Duroy extrait avec justesse les véritables aspirations de chacun et surtout les fausses raisons. Lionel Duroy dit ce que l'on n'ose pas dire ou admettre, arrivant ainsi à l'essence des sentiments, à une vérité essentielle, la sienne qui devient alors la notre, éclairant nos propres émotions. Il n'y a que la littérature pour arriver à ce petit miracle, où l'on échappe aux mensonges, où comme l'écrit Lionel Duroy, la vie est "grande et enviable dans les livres, intéressée et impitoyable sur la terre". Il se construit comme le pourfendeur du mensonge, le héros de la vérité même si elle mène au chaos. Il y a comme une naïveté d'adolescent dans cette manière d'écrire qui comme une mer déchainée, ravage les certitudes. Ce livre s'imprime profondément parce qu'il fait écho à l'enfance, aux parents, au couple, à la littérature donnant des pistes pour lire encore et toujours. De Malaparte à Cendrars, Rilke, Duras, Bellow, on sort de ces pages avec l'envie de se précipiter chez le libraire pour lire la leçon d'Allemand bien sûr mais aussi La faim de Knut Hamsun à laquelle il y fait référence plusieurs fois comme étant le livre qui l'a amené à l'écriture. Un Duroy à ne pas laisser Echapper indéniablement...

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