lundi 3 août 2015

Trente filles de Susan Minot traduit par Jean-Pierre Aoustin dans la collection bibliothèque étrangère aux éditions Mercure de France


La sensibilité de Susan Minot m'avait enthousiasmée quand j'avais découvert Les Mouflets. Sans précipitation, après dix ans de vie secrète, un livre vient à l'appel :Trente filles. Elle s'empare d'un sujet occulté, mal vécu par les occidentaux, dont il faudrait pourtant parler : l'enlèvement de jeune-filles par les extrémistes du LRA (Armée de Résistance du Seigneur) le 10 Octobre 1996 dans un collège catholique à Aboké en Ouganda et qui fait écho à une action quasi identique de Boko Haram au Nigéria en Avril 2014. Jane, une journaliste américaine, débarque pour enquêter sur le sujet. Elle a été interpellée par le combat héroïque de la mère d'une des jeunes-filles. Jane est une femme sans attaches, désenchantée, qui va d'abord rencontrer des gens comme elle, des expatriés vivant à part d'une société dominée par la peur, qui brutalement saisissent l'urgence de vivre plus intensément, s'étreignent et font la fête sans vouloir penser au lendemain. Jane va se laisser couler dans une relation sensuelle. Ce monde d'adultes en quête de sens répond à la voix d'Esther qui crie tout bas. Elle raconte après s'être échappée, placée dans un camp de réadaptation, le monde ébranlé qui l'habite désormais, où toute certitude a disparu. Les 139 jeunes-filles enlevées, une religieuse de l'école a poursuivi immédiatement le groupe avec un professeur dans la brousse et les a rattrapées . Au cours d'une négociation âpre, elle a obtenu la libération de 109 otages, laissant 30 très jeunes filles aux mains du LRA dans une scène où la religieuse doit dire aux "petites" qu'elle les laisse.  Il y a dans ce renoncement une force d'écriture faite de simplicité et de stupeur qui en dessine les contours avec netteté.  Le livre de Susan Minot est fort dans ce jeu de miroir entre deux mondes dont les vides finalement se rencontrent. Au bout du voyage de Jane, il y a Ester qui va la bouleverser. Si Susan Minot montre beaucoup de pudeur et de retenue dans les descriptions de ce qui pourrait être insoutenable, l'analyse psychologique est d'une grande subtilité soutenue par la manière d'écrire qui glisse de la pensée au dialogue dans un emboitement imperceptible. L'intelligence et la finesse de Susan Minot font de ce fait réel un roman envoutant sans pathos.

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