lundi 23 février 2015

L'ours est un écrivain comme les autres de William Kotzwinckle traduit de l'Américain par Nathalie Bru aux éditions Combourakis

 Né en 1938, William Kotzwinckle possède une réputation de comique et d'auteur inclassable en raison de l'éclectisme de son œuvre avec des albums pour enfant comme Walter le chien qui pète, de la novélisation du scénario de E.T à du roman noir en passant par du complètement fou comme Midnight Examiner qui pourrait bien déclencher la remise en marche de vos zygomatiques rouillés. Pour l'instant j'ai testé L'ours est un écrivain comme les autres et j'ai ri. Ce roman complètement loufoque était nécessaire dans une rentrée littéraire pas forcément hilarante. Kotzwinckle ne se prend pas au sérieux et le milieu littéraire et universitaire en fait les frais. Un certain Bramhall est amené à réécrire son livre après un échec cuisant. En effet, l'écrivain pas très prévoyant l'a vu brûler dans l'incendie de sa cabane au fond des bois. Ce n'est pas une grande perte puisque cette première version était un plagiat et que la deuxième mouture est nettement mieux, l'épreuve lui ayant beaucoup appris. Par précaution il l'enterre dans une valise au pied d'un épicéa. Un ours, qui passait par là, croyant trouver de la nourriture, ouvre la mallette et se dit que ce livre est bon à publier. Pendant que le véritable écrivain Arthur Bramhall va se morfondre jusqu'à hiverner dans une grotte en raison de la nouvelle disparition de son manuscrit, l'ours se fait éditer et rencontre un succès considérable. On se l'arrache avec son langage frustre et son genre Hemingway. Des agents hystériques, des éditeurs aveuglés par le gain, une société de gens frustrés qui découvre à travers un ours une aptitude remarquable à se libérer des conventions, voilà sur quoi cet usurpateur bâtit sa célébrité, en se payant même le luxe d'un titre de noblesse. L'art du détournement est à son apogée dans ce roman dingue qui joue sur tous les registres de la fable en mettant en scène des animaux et critiquant sévèrement notre société et notre humanité. Il ne faut pas grand chose pour réveiller la bête...

p 49 "On s'active fillette!" grommela la vieille femme en heurtant de nouveau la caisse de son caddie.
   L'ours manoeuvra le sien de façon à pouvoir le cogner contre la caisse lui aussi, comme un véritable être humain, et ce faisant, il fit taire les voix qui l'assaillaient.
   La vieille femme se tourna vers lui avec un regard conspirateur. "On devrait ficher le feu à cet endroit, au moins ils se bougeraient le cul. Elles ont passé un seul satané produit en une minute et demie." La vieille dame désigna une montre agrafée à son manteau, assortie d'une carte portant son nom et adresse. "Croyez pas que je les ai pas chronométrées."
   L'ours continuait de heurter la caisse avec son chariot. Je suis un modèle de comportement, se disait-il.
   La caissière annonça le total à la vieille femme. "Vingt-deux dollars et cinquante-deux cents, madame.
   - Dans ton cul, ouais!", répliqua la vieille femme. Elle régla, récupéra ses sacs, et quitta le magasin en marmonnant dans sa barbe.
    L'ours vida son chariot sur le tapis roulant. Quand on lui eut tendu tous les sacs contenant ses achats, il lança : "Dans ton cul!" et se dirigea vers la porte. Il en apprenait tous les jours davantage. 

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