mercredi 4 mars 2015

Prends garde de Milena Agus et Luciana Castellina traduit par Marianne Faurobert et Marguerite Pozzoli aux éditions Liana Levi

Luciana Castellina, figure de la gauche italienne écrivain et journaliste, députée européenne est une femme engagée. Milena Agus, Sarde d'origine, s'est fait connaitre par son roman Mal de Pierres en 2007. Ces deux femmes se sont associées pour croiser leur regard sur un évènement historique qui s'est déroulé en Italie en 1946. Luciana Castellina va étudier les archives et documents afin de reconstituer une époque où la pagaille régnait à tous les niveaux tandis que Milena Agus dans le palais des soeurs Porro dessinera leur vie morne et imperturbable. Au coeur du livre, un évènement dramatique dans la ville d'Andria qui doit fêter comme dans toute l'Italie ce jour là, le 7 Mars 1946, la journée de la femme. Depuis 1943, année où le Sud de l'Italie a été libérée par les alliés, les Pouilles sont dans le chaos. A la population des ouvriers agricoles réduite à l'esclavage par les propriétaires terriens, viennent s'ajouter des soldats démobilisés affamés, des juifs fuyant le nazisme. De manière sporadique, des incidents éclosent nécessitant l'intervention de l'armée. La tension est grande devant la résistance des propriétaires soutenus par d'anciens politiciens fascistes et la montée de la gauche prolétarienne. Alors que la foule s'est réunie sur la place d'Andria en attendant le discours de DiVittorio, secrétaire de la Confédération Générale Italienne du travail, un coup de feu est tiré en provenance semble-t-il de la façade de la maison des soeurs Porro. C'est le départ d'un acte de folie collective, "qui n'avait pas été perpétué par une bande de tueurs ou d'émeutiers, mais avec le soutien d'une foule, des pauvres de toute la ville"(p66). Les soeurs Porro sont les seules à être restées, les autres propriétaires sont allés se mettre à l'abri à Milan, craignant des débordements. Les soeurs Porro sont quatre, vivant sans avoir laissé le monde extérieur déranger leur petite vie conventionnelle. Conditionnées par une éducation religieuse bien sage, célibataires et pleines de bons sentiments, nous pénétrerons dans leur intimité grâce à leur amie, personnage de fiction sortie de la plume de Milena Agus pour nous montrer à quel mur se heurtait la population qui grondait dehors. Incompréhension totale de deux mondes totalement étanches. Le livre, dans la forme reprend l'impossible communication en s'écrivant tête bêche... L'histoire d'un côté, le roman des soeurs Porro de l'autre. L'idée de provoquer la rencontre de la fiction et de l'histoire dans un même ouvrage est particulièrement convaincant même si finalement les soeurs Porro resteront une énigme et ce qui se passe dans la foule expliqué mais inacceptable... Alors Prends-garde à la faim, la misère que l'on croyait pouvoir vaincre en 1946 et qui rode encore aujourd'hui.

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