vendredi 17 octobre 2014

La Femme d'en Haut de Claire Messud traduit de l'Anglais par France Camus-Pichon coll du Monde Entier aux éditions Gallimard

Ne pas croire surtout que ce livre est une diatribe contre la condition féminine, limitée à une fureur hormonale de célibataire qui s'exprime dans le premier chapitre. Il faut bien commencer par la colère quand on est trahi, amortir la chute de la Femme d'En Haut, le drame de Nora Marie Eldridge, la quarantaine solitaire. "Je ressemble aux enfants : mes motifs et mes motivations ne sont pas toujours clairs. Mais si je réussis à m'expliquer, tout sera élucidé; et peut-être cette élucidation suffira-t-elle à prouver ma grandeur, si modeste soit-elle. Dire ce que je sais et ce que je ressens, si je le peux. Sans doute vous reconnaitrez-vous si j'y arrive." p 32 Cette fille a un désir de bien faire à la base, une éducation qui l'a enfermée dans un carcan, modestie et gentillesse. On suit le mouvement sans faire de vagues. C'est une femme lambda, qui à l'adolescence n'a guère fait plus de choses interdites que de coller des slogans subversifs sur les murs du lycée. Quand un garçon l'embrasse, c'est sans amour et sans lendemain, et on se dit qu'il aurait mieux valu qu'elle lui mette une baffe. Elle est subjuguée par la réussite. Elle veut s'élever, pense à être artiste. Oh combien comprend-on quelle corde touche le professeur de dessin quand elle surpasse tout le monde par son abeille dans un violon lui-même contenu dans une poire! Le regard de l'autre qui fait exister, ce narcissisme infantile, Nora en est restée là. Quand elle dit que perdre sa mère, c'est perdre la personne de qui on est la préférée, elle exprime la profondeur du problème (évidemment on parle de parents aimants). Que faire quand on est le préféré de personne? On est mort aussi? Nora va rencontrer une artiste Sirena ( le chant des sirènes, séduisant mais irréel) mère d'un enfant magique (une maturité d'enfant unique associée à une faculté d'adaptation développée au cours des nombreux déplacements familiaux) et marié à un éminent intellectuel Skandar. Fascinée par la Sainte Famille, amoureuse alternativement des trois, elle se laisse emporter dans le sillage de leurs rêves, chevauche à nouveau ses ambitions d'artiste. Elle ne sait pas qu'au fond, elle n'est qu'une marche de l'escalier, un appui nécessaire, un moment de rencontre dans un horizon multiple. Le monde est à eux dans cette sphère d'intellectuels et d'artistes très égocentriques. Qu'est-elle Nora? La fille lisse, serviable, toujours disponible et pleine d'empathie. Les contours de sa folie sont bien rangés dans les chambres miniatures qu'elle construit, des dioramas de femmes artistes telles que Emily Dickinson ou Alice Neel. Personne ne sait combien elle espère. Nora pense posséder "une chambre à soi"alors que tout lui échappe. Elle perdra et ne comprendra pas, détruite pas ces gens qui blessent sans même le sentir ce coeur affamé de reconnaissance, avide à jamais. Le monde est peuplé de Nora. Nous sommes des Nora à nos heures, hommes ou femmes nourris de rêves d'empathie permanente, cherchant dans l'autre un double, une fusion mais nous retombons forcément enchainés à nous-mêmes. Le personnage dérange parce qu'il est ridicule mais en même temps Claire Messud éclaire l'ombre cachée d'un fonctionnement. Cette longue confession lucide est assez troublante et si probable. Nora agace et Sirena renvoie à un malaise et à la perception que l'on a parfois de ne pas être l'ami attendu, de décevoir même sans aller aussi loin que Sirena dans l'absence de scrupules. Le rythme du récit est en adéquation avec les sentiments de Nora brutalement accéléré à la fin pour passer sur la honte après avoir longuement tourné autour. Tonalité noire globalement qui ne vous fera pas rêver surement réfléchir mais de là dire que j'ai adoré n'est pas le mot juste, disons que je l'ai trouvé intéressant
.

Je me perds dans tes yeux
et me perdant je te vois
dans mes yeux perdue.
L'arbre parle d'Octavio Paz

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