mercredi 22 octobre 2014

La vie volée de Jun Do d'Adam Johnson traduit de l'anglais par Antoine Cazé aux éditions de l'olivier

Vous vous sentez mou et déprimé par l'hiver qui pointe et les joyeuses festivités de Noël qui vont presque vous faire haïr l'idée même du cadeau. Lisez vous dis-je La Vie Volée de Jun Do et tout rentrera dans l'ordre!Vos tracasseries chagrines sembleront bien anodines quand vous connaîtrez Jun  Do. John Doe en anglais désigne un  personnage non identifié... Jun Do est orphelin parce que sa mère était une beauté. En corée du Nord, il n'en faut pas plus pour être enlevé par le Cher Dirigeant Kim Jong-il et disparaitre dans la capitale Pyong Yang au service de l'état. De l'orphelinat Lendemains Infinis à l'armée où Jun Do devient rat de tunnel à quatorze ans, il sera ensuite recruté pour des kidnappings au Japon parce qu'il sait combattre dans le noir entre autre, possède un don pour les langues et une capacité de survie hors du commun.
p56 "Et quel choix avait-il dans la vie en général? Il n'y pouvait rien s'il venait d'une ville où l'électricité, le chauffage et le carburant faisait défaut, où les usines étaient figées par la rouille, où les hommes valides croupissaient dans des camps ou languissaient de faim. Ce n'était pas sa faute si tous les garçons placés sous sa protection vivaient dans la torpeur de l'abandon et la crainte d'être recrutés comme gardiens de prison ou enrôlés dans des opérations suicidaires."
Notre imagination d'hommes d'un pays libre ne peut appréhender ce qui se passe là-bas. Au-delà de la fiction, on prend conscience de ce que vivent 24 millions de coréens du Nord, un peuple si martyrisé qu'il ne peut pas avoir la force de se révolter. L'écriture s'empare du sujet sans repousser les mots dans le champ du dégoût. Jamais ce n'est insoutenable à cause de la personnalité de Jun Do envoutante et sublime. Jun Do sera celui que vous n'oublierez plus, que le livre fait vivre intensément, effroyablement pendant six cents pages haletantes. Adam Johnson arrive à raconter avec de l'humour (noir profond), des couleurs, de la poésie, l'histoire d'un peuple dont les légendes alimentent la flamme minuscule de leur humanité lorsque les haut-parleurs crachent une propagande mensongère à longueur de journée.
p 397"Et maintenant, une annonce importante de notre ministre de la Défense. Naturellement,le haut-parleur placé dans chaque appartement de toute la Corée du Nord diffuse des informations, des annonces et des programmes culturels, mais il faut rappeler que c'est un décret de 1973 promulgué par le Grand Dirigeant Kim Il-sung qui a permis d'installer sur l'ensemble du territoire national un système d'alerte aux raids aériens ; or, le bon fonctionnement d'un réseau de prévention anticipée est d'une suprême importance. Les Inuits sont une tribu de sauvages qui vivent isolés près du pôle Nord. On appelle leurs bottes mukluk. Plus tard dans la journée, demandez donc à votre voisin ce qu'est un mukluk. S'il ne le sait pas, c'est peut-être parce que son haut-parleur ne fonctionne pas bien ou qu'il s'est accidentellement déconnecté. En le signalant, vous pourriez lui sauver la vie lors de la prochaine attaque furtive des Américains contre notre grande nation."
Le récit se déploie à deux niveaux entre le Jun Do inaccessible à toutes les souffrances et le Jun Do, usurpateur devenu le commandant Ga, parce qu' amoureux de son épouse Sun Moon jusqu'au bout de la vie. On oscille en permanence entre tunnels sordides et la liberté intérieure, la folle intelligence que tous les personnages déploient pour survivre, un humour désespéré aussi. Cette histoire agrippe. On sort de là, hébété et pitoyable mais elle est chaudement recommandée pour une prise de conscience indispensable sur le sort de ceux qui vivent au-dessus du 38ème parallèle. La puissance subsiste après la dernière page tournée. Il est de la même trempe que La Fête au Bouc de Mario Vargas Llosa.

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