dimanche 8 septembre 2013

Les hommes-couleurs de Cloé Korman aux éditions du Seuil

Après un début difficile, je reste sur un véritable bonheur d'avoir lu ce livre.
Quand Georges, un Français, rencontre Florence, ils sont à Mexico sur la pyramide de la lune. Il est ingénieur et a adopté Nino, un petit gamin turbulent "comme soucieux de faire comprendre à chacun qu'il n'est l'enfant de personne". Elle, est architecte et américaine. On est en 1945.
Quand Joshua Hopper, ingénieur hydraulique est chargé de sonder les abîmes du chantier Bernache, on est en 1989. Il ne reste de l'histoire qu'un mince dossier qui fait état d'un vieux contrat de la société Pullman "pionnière dans la fabrication des trains" rachetée par la Bombardier et deux noms : Georges Bernache et Florence Evans. Des six mille hommes, des journaliers passés sur le chantier, aucune trace sauf celle de Gris Bandejo.
Cloé Korman construit son livre comme un puzzle que Josh rassemble s'égarant parfois sur de fausses pistes. Les langues sont multiples, les pièces trompeuses. 0n voit se dessiner une histoire d'amour magnifique. Celle du couple Bernache relève du fabuleux. Elle sait décrire la position toujours funambulesque de ces expatriés dans un milieu hostile. Elle rassemble la magie du Mexique et son trésor culturel aztèque, des pratiques religieuses baroques et des rituels de carnaval masques du désespoir. Pendant que les enfants Bernache jouent dans le grand jardin paradisiaque, on sent la main qui va les en chasser. Quand la dernière page est tournée, il reste une histoire fantastique dans laquelle courent des hommes-couleurs terriblement vivants que l'écriture multiforme et poétique de Cloé Korman magnifie.
"C'est ici le cimetière des migrants. Je l'ai improvisé, au début il n'y avait qu'une seule tombe, puis deux. Cette année, quatre cent mille hommes ont passé le frontières. Mais certains échouent là.
Ce cimetière, il renferme ceux qui n'existaient pas. Avez-vous remarqué que le désert fait perdre le sentiment de sa propre vie ? C'est à cause de la pierre sans végétation on ne sait plus si on a les pieds bien posés quelque part. Il en faut rien qu'un peu. Lierre ou vigne même si elle est aigre. En fait, il y a des plantes ici. J'observe beaucoup de choses et croyez-moi. Même un cactus. Une moisissure sur un caillou. Je vois des gens de toutes sortes.
Il y a des êtres qui résistent qui restent convaincus de la valeur de leur vie même quand l'air se déssèche autour d'eux. Même si la terre entière se changeait en pierre, ils continueraient de se savoir humain, et seront sauvés."

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