mercredi 11 septembre 2013

Je ne retrouve personne d'Arnaud Cathrine aux éditions Verticales


Après une discussion hargneuse avec son frère, Aurèle accepte d'aller s'occuper de la mise en vente de la maison familiale malgré la promotion de son dernier livre qui va commencer. Il cherche à sortir de l'emprise que son aîné à toujours eu sur lui entre cynisme et autorité. Dans la maison vide il se voit avec ses trente-cinq ans englué dans ses contradictions, à la recherche d'une innocence. Il est amer et lucide. Grosse crise sur fond de mer normande... Il retrouve la vieille Mado, voisine rentière qu'il fréquentait avec son frère. Le vernis d'hier nappé d'anticonformisme qui le trompait encore n'est plus. Devant lui, juste une vieille femme qui picole trop et se donne le droit de dire n'importe quoi. Puis survient Hervé l'agent immobilier le copain des années lycée. Là, forcément on va parler de Benoît avec lequel une relation plus intime s'était construite mais qu'Aurèle a perdu de vue en quittant Villeurville. Bien sûr, sa vie sentimentale est au point mort depuis que Junon et lui se sont quittés. Il ne voulait pas d'enfant alors elle en a fait un toute seule. D'ailleurs Aurèle finit de sombrer dans les compromissions en acceptant de garder la petite Michelle une semaine...
L'écriture capte par son style direct semé d'expressions bien d'aujourd'hui. Parfois sur le ton du journal intime, Arnaud Cathrine insère aussi des dialogues très enlevés comme du théâtre, écrit des mails. L'ensemble contribue à la vivacité du récit alors que le livre est construit autour de la nostalgie et de l'arrêt sur image. De beaux passages en monologues intérieurs dessinent précisément l' homme paralysé, angoissé, mal d'être ce qu'il est, fendu de "lames d'agacement" quand il parle avec ce frère blessant et  blessé. Oui, il y a du "où vais-je où erre-je," mais qui échappe à ce questionnement-là dans une vie? De celui qui rend figé d'angoisse, buveur solitaire peut-être, incapable de communiquer. Dans cet exercice, Arnaud Cathrine réussit avec sincérité, sans romantisme excessif à rendre cette intimité que l'on enfouit dans un "volontarisme" salvateur.

"Quel obscur pouvoir ce type a-t-il sur moi pour me mettre dans cet état quoi qu'il dise?
Mon frère me juge.
Mon frère ne me reconnait pas. Il me juge.

Le jour où je pourrai lui dire : oui, je suis fait d'une sève curieuse et oui, tes regards me sont une violence ; oui, j'ai le goût des chemins de traverse, des sentiers dépréciés et, ne jugeant personne, je ne crois pas être fabriqué pour emprunter les grandes avenues et habiter les foyers respectables ; oui, je m'emballe, m'amourache, m'attache et m'engage à durée déterminée ; oui, je me trimballe une enfant que j'aime mais qui n'est pas de moi; oui, je suis moins talentueux que toi mais beaucoup plus que tu ne le crois. Le jour où je pourrai prononcer cet ensemble non exhaustif de petites vérités blanches, renonçant par là au type idéal que je n'ai jamais été et ne serai jamais, délogeant ainsi en moi mon propre ennemi, alors je comprendrai définitivement pourquoi j'écris, je comprendrai pourquoi j'ai engagé cette réflexion onéreuse chez un analyste, je saurai me défendre en toutes circonstances (fût-ce au prix d'un effort chaque fois renouvelé), j'aurai atteint l'indulgence, à mon égard, s'entend."

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