mardi 25 septembre 2012

L'hiver des hommes de Lionel Duroy aux éditions Julliard

Marc est déjà venu en Ex-Yougoslavie au début de la guerre en 1992. Dix-huit ans après, il retourne sur le terrain.  Il veut rencontrer des Serbes, de ceux qui ont combattu aux côtés de Mladic, accusé aujourd'hui de crimes de guerre après avoir été en quelque sorte "victorieux". Le narrateur est fasciné par le destin des enfants des criminels de guerre. Comment s'arrangent-ils avec la vérité pour survivre? Le suicide d'Ana, fille de Mladic, peu de temps après le bombardement de Sarajevo, est un geste d'une grande violence, que chacun interprètera avec ses convictions, quelque chose comme une lettre morte puisque son père veut se persuader lui-même et persuader ses proches qu'elle a été assassinée. Successivement, au hasard des rencontres, dans un brouillard épais, malgré la couche de neige qui veut blanchir la terre, Marc fouine. Sous les chagrins enfouis que le temps fige dans une peur éternelle teintée de paranoïa, les grandes causes s'effacent. Les histoires personnelles dessinent des trajectoires que l'écriture empathique de Lionel Duroy rend sensible et proche. Les Serbes, aussi fous soient-ils redeviennent des gens. Et en fonction du côté où nous aurions pu naître n'aurions-nous pas agi de la même façon? La guerre laisse les mêmes douleurs partout, l'hiver des hommes qui l'ont faite et l'avenir de neige salie qu'elle propose aux générations suivantes.
L'auteur mêle sa propre histoire à celle-là, et c'est peut-être là que le livre pêche un peu. La force des portraits de ces hommes fantômes qui se cachent et trouvent des explications insensées pour justifier la barbarie rend d'un sentimentalisme larmoyant les digressions que Lionel Duroy écrit sur son couple en déliquescence à Paris.
Malgré ce bémol, ce livre est poignant et passionnant. Il nous rappelle des évènements récents, l'engrenage absurde qui a provoqué cette explosion de haine entre des voisins, des frères, des amis réveillant les rancunes à propos de l'horreur d'une autre guerre. 
Au cours d'un premier entretien avec Stanko Jankovic, un  proche du général Mladic,  celui-ci explique à Marc que "le monde entier s'est fait avoir par la propagande des Musulmans" p24. Et puis plus loin il raconte le massacre de Srebenica dans un discours où les contradictions flagrantes font frémir :
p 28 : "- Et là encore..., dis-je comme il s'interrompt.
            - Là encore, nous les avons tous tués, oui. Le verger était jonché de corps, nous avons dû utiliser une pelle mécanique pour les ramasser.
   Je vois que le colonel est profondément atteint par ce qu'il vient de raconter, les traits tirés, les yeux rougis.
            - Comment se remet-on de telles scènes?
            - On ne se remet pas. Après Srebenica, j'ai été hospitalisé en psychiatrie. Je ne dormais plus. A la sortie, le psychiatre m'a proposé une thérapie. J'ai accepté, durant plusieurs mois je l'ai vu, mais ça ne m'a pas guéri. 
            - Parfois, dans la journée, dit sa femme, il lui arrive de tomber évanoui. 
            - Et vous arrive-t-il aussi de pleurer? Tout à l'heure, il m'a semblé que vous étiez tout près de pleurer.
            - J'ai pleuré en 1996, quand nous avons dû abandonner Sarajevo. 
  Et alors, il a cette phrase étrange, que je note silencieusement :
            - Rien ne peut changer ce qui s'est passé. On ne peut que mentir pour s'en remettre."

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