mardi 12 mai 2015

J de Howard Jacobson traduit de l'anglais par Pascal Loubet aux éditions Calmann-Levy

Howard Jacobson aujourd'hui agé de 73 ans est lauréat du Man Booker Prize du roman. En 2011, il n'y avait de cet auteur prolifique que l'Opération Finkler de traduit en Français. Depuis deux autres livres sont venus s'ajouter : Kalooki nignt et La Grande Ménagerie.
Chroniqueur, journaliste, il est réputé pour être drôle et marqué de judaïsme. Effectivement, c'est ce que vous risquez de  rencontrer dans ce livre grave qui parle de juifs sans jamais prononcer le mot et résolument ironique . Le titre du livre est un J barré , une lettre que le père du héros Kevern ne prononce qu'en mettant deux doigts devant sa bouche. J comme Jazz ou J comme Juifs un mot qui ne sera jamais explicité dans le livre.
Il y a d'abord un loup qui fait un pari idiot avec une tarentule... Au bout de la fable il est obligé de se manger lui-même ayant dévoré toutes ses proies. Premier message.
Puis il y a Ailinn dont les pieds sont vilains, dont le coeur palpite.
Kevern  Cohen dit Coco, homme de rituels compulsifs, tourneur et sculpteur sur bois, porté sur l'introspection va la rencontrer. Enfin pas exactement, on les pousse dans les bras l'un de l'autre. Ils vivent à Port-Reuben dans un monde post-apocalyptique. Un évènement assez peu défini CE QUI S'EST PRODUIT, SI CA C'EST PRODUIT a donné lieu à un remodelage général de la société. Plus de réseaux sociaux, des utiliphones qui ne servent qu'à communiquer localement, plus de voyages. Les traits d'esprits sont prohibés, la littérature réduite à des fictions insipides, "la connaissance de l'histoire, comme toute autre forme de nostalgie excessive est découragée". On n'a pas le droit de posséder des objets anciens ou alors de pâles copies. Rien n'y est vraiment interdit, mais on n'encourage pas ce qui n'est pas dans la ligne de conduite choisie. Evidemment tout bon état totalitaire a son organisme de surveillance et ses espions qui écrivent des rapports pour l'OTOTO :la Haute Autorité Officieuse de L'Opinion Publique dont le slogan est : "Souriez à votre voisin, chérissez votre conjoint, écoutez les ballades, allez voir des comédies musicales, utiliphonez, conversez, expliquez, écoutez, acquiescez, excusez-vous. La conversation vaut mieux que le silence, la parole chantée surpasse l'écrit, mais rien n'est plus beau que l'amour." De cauchemars en italiques en extraits de lettres, d'informations données par les  rapports écrits, en particulier ceux de Densdell Kroplik l'expert des lieux, "historien" et barbier itinérant complètement félé, et ceux d'un professeur d'arts visuels bénins, le récit morcelé se joue de la chronologie.. Aileen et Kevern sont activement observés parce qu'ils n'arrivent pas à se défaire d'un passé pourtant flou mais qui interfère en permanence dans leur présent. Normalement, au cours d'une opération dite "appelez moi Ismaël", tout le monde a pris des noms à consonance juive afin de former une unique et grande famille. Tous frères. Ailin se sent pourtant comme la baleine blanche que Le capitaine Achab poursuit à jamais. L'amnésie n'éradique pas la culpabilité. Il faut aussi demander pardon. "C'est en exigeant que tout le monde demande pardon, sans préciser pour quoi, que le concept de responsabilité peut-être éradiqué et la culpabilité enfin anesthésiée."p61   "Il est préférable de formuler de vives excuses générales plutôt que d'entretenir le souvenir morbide qui embaume le passé dans les fluides proustiens du larmoyant" p60. Mais si Ailleen n'est pas sensée savoir d'où elle vient puisqu'elle a été adoptée, Kevern possède des boîtes d'archives laissées par son père qui sont autant de signes sur le passé de sa famille. Howard Jacobson construit un récit captivant et dérangeant. Il nous interroge sur la capacité d'une société à ne pas reproduire le passé et ce n'est pas en le niant qu'on échappe à une violence innée. Dans ce 21ème siècle d'omissions, on veut supprimer la violence de masse pour une violence plus anecdotique, celle qui régit les rapports homme-femme, les bagarres de tavernes, les faits divers. H Jacobson n'a pas essayé de décrire de manière sophistiquée un monde futuriste. Le récit laisse des vides que l'imagination du lecteur va combler de ses fantasmes, clichés, ou autres délires pour compléter le fonctionnement de cette société.  Il décrit une ambiance, un état d'esprit pour aboutir à une conclusion terrifiante, un point d'interrogation où la resurgence d'une colère, d'une indignation serait  un bon début...
"Je suis qui je suis parce que je ne suis pas eux...." p366







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