jeudi 5 juin 2014

La cloche de détresse de Sylvia Plath préfacé par Rachida Brakmi traduction revisée de l'anglais par Caroline Bouet éditions Denoël

Sylvia Plath a écrit de très beaux poèmes aux images violentes et noires, parfois douces et limpides. Son unique roman trahit cette écriture première qui trouve l'association juste, le mot qui dessine à lui seul un vaste espace. Autobiographie romancée, Sylvia Plath disait que The bell jar était un roman alimentaire. Elle y raconte en ayant déguisé les personnages afin de les épargner, sa descente dans l'enfer de la dépression. L’Amérique des années cinquante sur fond d’exécution des époux Rosenberg est le décor du séjour à New York d'Esther Green. C'est  une jeune femme brillante qui a remporté un concours d'écriture lui permettant de faire un stage dans un grand magazine de presse féminine avec onze jeunes-filles. De cocktails en premières de film et rencontres de personnages célèbres, elle devrait follement s'amuser dans ce tourbillon mais non, elle n'arrive pas s'investir. Les descriptions de ses congénères sont féroces. Elle est fasciné par Doreen, une fille un peu délurée dont elle aimerait tant avoir le bel opportunisme. Mais au fond, aucun élan vers personne. Elle observe, goûte divers alcools forts et se goinfre de la nourriture de luxe qu'on leur offre. Le récit fait des retours sur son parcours universitaire et sentimental. Beaucoup de travail peu de passion, énormément d'intelligence. Le fiancé tuberculeux médecin n'est pas épargné. Il ne comprendra jamais à quelle sensibilité il a affaire et c'est sans précaution qu'il fera l'intéressant en l'amenant  dans le service de chirurgie où il travaille. Détachée de cette histoire sans avenir, elle sort avec des garçons pour s'affranchir des clichés dans lequel elle est enfermée par la société américaine de l'époque. De retour dans la banlieue étroite et triste de Boston, elle est refusée à un atelier d'écriture, retrouve sa mère qui veut absolument la former à la dactylo. Brutalement, le monde réel devient insoutenable. Trop de distorsion avec les aspirations de cette tête pensante. Après une tentative de suicide terrifiante, elle se retrouve en hôpital psychiatrique où la rencontre avec une psychiatre pleine de finesse réussira à la faire sortir du gouffre. La cloche de verre est tout de même retombée quelques années plus tard sur une femme poète, mère de deux enfants mais étouffée par les contradictions. Le livre fait mal parce qu'il est souvent très pertinent et met le lecteur face à ses propres compromissions mais Sylvia Plath a le désespoir cynique, une lucidité qui secoue les clichés.

Un blog sur Sylvia Plath :http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/plath/plath.html#3


"Je me sentais comme un cheval de course dans un monde dépourvu d’hippodromes, ou un champion de football universitaire parachuté à Wall Street dans un costume d’homme d’affaires, ses jours de gloire réduits à une petite coupe en or posée sur sa cheminée avec une date gravée dessus, comme sur une pierre tombale. Je voyais ma vie se ramifier devant mes yeux comme le figuier de l’histoire. Au bout de chaque branche, comme une grosse figue violacée, fleurissait un avenir merveilleux. Une figue représentait un mari, un foyer heureux avec des enfants, une autre figue était une poétesse célèbre, une autre un brillant professeur et encore une autre Ee Gee, la rédactrice en chef célèbre, toujours une autre l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Sud, une autre figue représentait Constantin, Socrate, Attila, un tas d’autres amants aux noms étranges et aux professions extraordinaires, il y avait encore une figue championne olympique et bien d’autres figues au-dessus que je ne distinguais même pas. Je me voyais assise sur la fourche d’un figuier, mourant de faim, simplement parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger. Je les voulais toutes, seulement en choisir une signifiait perdre toutes les autres, et assise là, incapable de me décider, les figues commençaient à pourrir, à noircir et une à une elles éclataient entre mes pieds sur le sol." 

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