lundi 3 mars 2014

Et quelquefois j'ai comme une grande idée de Ken Kesey traduit de l'anglais par Antoine Cazé aux éditions Monsieur Toussaint Louverture

Le livre s'ouvre sur une scène incroyable. Des hommes en colère, plus ou moins ivres ou grippés, au bord du fleuve Wakonda Auga regardent se tortiller un bras humain à l'index vengeur suspendu là comme une ultime provocation. La bicoque derrière "s'avance en saillie dans l'eau comme un monument à la mémoire d'un élément géographique aujourd'hui disparu,  marquant l'emplacement où se trouvait autrefois le bord de la rivière":  "La fichue baraque des Stamper".
Les Stamper bossent en famille dans leur exploitation forestière et provoquent la foule en ne suivant pas le mouvement de grève générale décrété par le syndicat. La maison, est à leur image, sans cesse consolidée de clous, câbles, poutrelles métalliques, rondins au gré des intempéries tout comme Hank l'homme fort, le héros légendaire, s'acharne à défier tous les complots qu'on lui glisse sous les brodequins. Quand le vieux Henry, le père salement blessé, est obligé de baisser la garde, ils appellent Leland le demi-frère de Hank à la rescousse. C'est sans connaitre le fond noir de sa rancoeur. Etudiant intellectuel nourri de psychanalyse et de Shakespeare, Leland rencontre la force brute de celui qui ne renonce jamais, son frangin. Choc tempétueux de deux hommes blessés qui se battront jusqu'à la mort pour être libre et trouver une vérité universelle, qui nous saute à la figure dans ce livre génial. On se sentirait presque l'envie de déraciner des arbres, de déterrer la hache de guerre. Dans une écriture humide, verte, bruyante de vent, cruelle, Ken Kesey écrit une œuvre inoubliable de 800 pages où chaque mot pèse, agit sur le lecteur comme une grosse tempête. D'un cynisme libérateur, il dissèque les pensées de ses héros en glissant du je au il, entrecroisant les points de vue avec une narration en italique qui dit de l'intérieur. Très très fort, un vrai travail de bucheron dans lequel on sent aussi que le traducteur a du contribuer savamment. Et Quelquefois J'ai Comme Une Grande Idée mérite qu'on arrête le temps pour le savourer et le recommencer à la fin parce qu'au bout des 800 pages, rien n'est terminé. D'une poésie magnifique, la nature y est dense et palpable, comme une peinture où tout y serait.

Le temps se recouvre lui-même. Le souffle qu'une brise vagabonde transporte n'est pas le vent tout entier, pas plus que le fin d'un événement passé n'est le début d'un autre à venir. P 259





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