lundi 8 juillet 2013

Le chagrin de Lionel Duroy aux éditions J'ai Lu


 

J'ai fait cette année une véritable plongée dans l'univers de Lionel Duroy. L'Hiver des Hommes est un très beau livre sur l'après-guerre en Ex-Yougoslavie. Lionel Duroy a su y capter un autre chagrin, celui de ceux dont les souvenirs trop lourds empêchent aujourd'hui de vivre. Au fil des pages, on sent son empathie pour ces hommes, et cette interrogation au coeur de son oeuvre sur la filiation. Étonnamment, il y avait des appartés concernant sa vie privée comme s'il ne pouvait dissocier totalement l'intime de son travail. Quand on a lu Le Chagrin, on comprend mieux...
On peut lire Le Chagrin avec fascination. Se demander à chaque page, comment une famille peut être aussi destructrice et continuer de s'interroger sur ce qu'on sait de notre enfance, sur ce que notre sensibilité détourne en traumatismes, en peurs. Le narrateur (auteur) est le quatrième enfant d'une fratrie de onze. Sa mère, une femme qui voulait tenir son rang de fille de négociant en spiritueux bordelais, épousa un Dunoyer de Pranassac dit "Toto", noble issu de germains, qui n'eut jamais les moyens de faire vivre sa très vite famille nombreuse. Ne payant jamais les loyers d'un appartement à Neuilly qu'il avait réussi à louer, ils furent expulsé et vécurent des périodes de misère noire. Le père continuait de faire miroiter un avenir doré tandis qu'il entourloupait ses créanciers sans vergogne. La mère oscillait entre exigences insensées et naufrage dans la folie, incroyablement aveugle aux hallucinantes combines de son mari, les gamins se dépatouillant comme ils pouvaient dans ce marasme fait de mensonges. Cette histoire se développant sur quarante ans, le narrateur devient adulte et mêle à ce déballage, sa vie conjugale qui s'effondre au moment même de la publication du livre. Il y a un jeu temporel très réussi, qui imbrique tout, lie ensemble l'écrivain et son histoire. A la fois auteur et héros de ce chagrin qui recouvre sans pudeur le moindre de geste, Lionel Duroy ressasse la douleur de l'enfance répétant à l'infini les scènes, remuant les couteaux dans les plaies. Croyant avoir écrit pour vivre, c'est aussi une mort sans fin parce qu'on est indéniablement fait de ce qui nous précède, tissant sur la même trame un motif jamais satisfaisant où l'erreur s'infiltrera toujours. Même morts ses parents continuent de vivre dans un silence turbulent. L'horreur des actes qui rétrospectivement sont impitoyablement des échos de ce qu'ils étaient, comme s'il était impossible d'être autre que le fils de...
Lionel Duroy tisse une oeuvre d'écorché vif qui ne peut laisser indifférent. Il se livre entier, va au fond de lui-même avec une écriture où l'absence de pudeur sidère, écœure peut-être, mais touche une vérité de l'homme, un cloaque d'où son écriture tire dans l'indécence une personnalité inoubliable. 

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