dimanche 2 juin 2013

Trop de bonheur d'Alice Munro traduit de l'Anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso aux éditions de l'Olivier

L'art de la nouvelle n'est pas mineur.  "Un recueil de nouvelles, pas un roman. Voilà qui est déjà en soi une déception. L'autorité du livre, en parait diminuée, cela fait passer l'auteur pour quelqu'un  qui s'attarde à l'entrée de la littérature, au lieu d'être assurément installé à l'intérieur"p56. On sourit quand Alice Munro écrit cette phrase dans "Fiction" et on ne la croit pas une minute après avoir refermé son livre.
Le plus souvent ses nouvelles développent l'histoire d'une femme. De la banalité au drame, tout est remarquablement construit vers un dénouement qui saute au visage comme un diable sortant de sa boîte. La mort dessine de drôles de détours et elle est toujours là comme un filtre qui révélerait dans une photo la beauté discrète d'un nuage. Les hommes n'ont pas le beau rôle, un en prison, l'autre mort. Ils ne sont pas très fidèles, toujours un peu faibles ou fêlés. Ces femmes vivent des moments de solitude parfois insoutenables. Elles ont perdu leur âme mais rebondissent avec grâce et si la tristesse n'est pas loin, Alice Munro ne laisse jamais le drap de la mélancolie napper le café noir qu'elle nous sert. Jamais, elle ne se noie dans la douleur et pourtant dans la première nouvelle, tous les ingrédients sont là avec Doree qui a vécu l'indicible. Mais Alice Munro va chercher au-delà des contradictions, cette énergie des individus à être, à aimer, à comprendre qui les met "En route vers des actes dont ils ne se savaient pas encore capables" p98. Même si à un moment, il se passe quelque chose d'effroyable, il y a au fond de l'être un ressort inconnu que la plume d'Alice Munro déclenche, subtile et surprenante, la pirouette qui fait dire à Sofia dans la dernière nouvelle : "trop de bonheur". Justement, il n'y en a jamais trop dans ce livre peut-être même pas assez. J'admire l' hommage rendu à la femme intérieure, celle qui suit l'inconnue qu'elle est à elle-même pour le meilleur ou le pire. La force d'évocation est telle que les histoires se gravent, s'intègrent à long terme dans la mémoire.
Alice Munro est indéniablement une spécialiste du genre.

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