mardi 28 mai 2013

J'aimerais tellement que tu sois là traduit de l'anglais par Robert Daheu de Graham Swift aux éditions Gallimard

Il y a un grand type qui raconte des bribes de souvenirs quand sa mère Véra, son père, son frère et le chien Luke vivaient encore sur l'exploitation familiale. On est dans la tête de Jack Luxton. Il est devant sa fenêtre et sur le lit un fusil est posé derrière lui. Il guette si elle va revenir. Jack est d'une infinie tristesse comme la pluie qui coule sur la vitre. En bas il y a "son troupeau", petites caravanes blanches dont il est le propriétaire aujourd'hui avec Ellie, son amie d'enfance de la ferme voisine, devenue sa femme plus tard comme une évidence. Sous ce ciel gris de l'île de Wright, Jack est immobile, paralysé par des sentiments contradictoires. Les souvenirs s'agglomèrent formant des pensées peut-être jamais exprimées, simplement vécues et révélées par le présent qui ouvre un torrent d'émotions avec la mort de Tom, le frère de Jack. Tom a fuit la ferme le soir de ses dix-huit ans, l'armée le ramène dans une boîte couverte de l'Union Jack. Il croyait en avoir fini avec la famille, mais les morts sont plus bavards que les vivants "taiseux" qu'ils étaient. Des visions qui sont comme des sanglots sur un passé qui va à tout jamais être enfoui avec le corps de Tom. Jack est stoppé net, suspendu à lui-même, prêt à lâcher. Il remue les cendres du passé et voit les charniers où les bêtes atteintes de vache folle étaient brûlées après la mort de sa mère, avant la faillite.  A-t-il un avenir où il y aurait place pour une forme de bonheur et même d'oisiveté avec Ellie? 
Graham Swift reste là, sur ce moment où tout pourrait basculer, avec une infinie vérité, une pénétration de l'âme de Jack sur 404 pages tenant en haleine le lecteur avec l'obsédante présence du fusil sur le lit. Pas de grandes envolées philosophiques, juste Jack, que la mort a rendu somnambule, déambulant dans son passé avant de jeter à la mer définitivement un dernier symbole. On sillonne en même temps le Devon, l'Angleterre des années 90 où guerre et épidémie vache folle faisaient l'actualité jusqu'aux "twin towers."Comme dans Julian Barnes avec "Une fille qui danse", on est dans une chronique du drame ordinaire, magnifiquement menée. Un huis-clos envoutant où l'on retrouve une unité de lieu de temps et d'espace à la manière des tragédies antiques.

p86 :"Oui, il regrettait vraiment qu'elle ne soit pas là. Mais s'il l'avait vraiment regretté, comment pour commencer, pouvait-il se sentir si heureux? Regretter qu'elle ne soit pas là, cela revenait à admettre qu'il était heureux sans elle. Cela revenait à dire qu'il écrivait cette carte postale parce qu'il la trahissait."

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