vendredi 28 octobre 2011

L'art français de la guerre d'Alexi Jenni aux éditions Gallimard 632p 21 euros


 "Les idées sont la part la plus solide de l'être humain, bien plus que la chair, qui elle se dégrade et disparait. Les idées se transmettent identiques à elles-mêmes, dissimulées dans la structure de la langue."

Un coup de maître, c'est certain, sur un terrain miné. Ce que développe Alexi Jenni crie très fort aux oreilles de ma génération, la sienne. Sans jamais mépriser les artisans de ces sales guerres, il réveille ceux qui dorment au chaud dans la certitude d'avoir les mains propres. Au-delà de l'intérêt historique, le questionnement est extrêmement contemporain. La première phrase du livre donne le ton : "Les débuts de 1991 furent marqués par les préparatifs de la guerre du Golfe et les progrès de ma totale irresponsabilité". Qui de ma génération n'y trouvera pas un écho de ce qu'il ressentait?  Des chiffres, des images que le narrateur regarde fasciné mais passif. Il accumule les arrêts de travail jusqu'à se retrouver au chômage. Il cultive sa dépression au pied d'un verre de blanc et rencontre Salagnon le peintre à l'encre, un ancien d'Indochine lui dit-on. Entre les commentaires du narrateur va s'écrire l'histoire de Victorien Salagnon, le survivant, le parachutiste amoureux de la belle Eurydice. On n'effacera pas le passé, il doit nourrir la réflexion sur la différence, la colonisation, la violence, l'identité.  Salagnon est satisfait de découvrir qu'on ne sait plus aujourd'hui à quoi ressemble une arme de poing pour dénuquer (beurk!). Que fait-on avec les races aujourd'hui ? Sinon déplacer les conflits d'un espace à l'autre et redonner à la violence son inépuisable capacité à s'exprimer. La violence est un présent qui ne s'offre aucun avenir, elle dure le temps de tuer et s'éteint comme feu follet avec le crime. Seule alternative : l'amour, le désir sexuel, la peinture, le langage pour ne pas perdre de mots, les maux. Un livre fort. 

p178
La race survit à toutes ses réfutations, car elle est le résultat d'une habitude de pensée antérieure à notre raison. La race n'existe pas, mais la réalité ne lui donne jamais tort. Notre esprit la suggère sans cesse ; cette idée là revient toujours. Les idées sont la part la plus solide de l'être humain, bien plus que la chair, qui elle se dégrade et disparait. Les idées se transmettent, identiques à elles-mêmes, dissimulées dans la structure de la langue.
  Le cerveau suit son cours. Il cherche les différences, et les trouve. Il crée des formes. Le cerveau crée des catégories utiles à sa survie. Machinalement il classe, il cherche à prédire les actes, il cherche à savoir à l'avance ce que feront ceux qui l'entourent. La race est idiote, et éternelle.


p 234 :
Deux voiles noirs passèrent qui renfermaient des gens. Ils marchaient de conserve flottant au vent, cachant tout. Des gants satinés cachaient les doigts, seuls les yeux n'étaient pas couverts. Ils marchaient ensemble, ils passèrent devant moi, je ne pouvais plus voir en eux qu'à travers un morceau de nuit. Deux foulards avec des yeux traversèrent la gare des bus. (...)
Comment supporterais-je cet encombrement qu'est l'autre, si le désir que j'ai de lui ne me fait tout lui pardonner? Comment vivre avec ceux que l'on croise si je ne peux les effleurer  des yeux, les suivre des yeux, aimer et souhaiter leur passage, car simplement les voir réveille déjà mon corps? Comment? Si l'amour n'est pas possible entre nous, que reste-t-il?


 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un livre historique profond et instructif étonant pour un roman.Mérite largement son prix Goncourt,même si il sort du cadre habituel !! Donne matière à réflexion au vu de la conjoncture actuelle.L'âme humaine serait elle comme la mode , un éternel recommencement.Merci