mercredi 16 novembre 2011

Vers l'autre été de Janet Frame aux éditions Joëlle Losfeld en littérature étrangère 22 euros

Au fur et à mesure que je lis Janet Frame, le personnage devient un être de chair, presque un être cher. Vers l'autre été raconte le week-end terrifiant de Grace Cleave, écrivain néo-zélandais émigrée à Londres. Invitée par un critique littéraire à la campagne, elle tente d'y survivre encombrée de sensibilité et de doute, chaque mot à prononcer l'entraine dans des affres d'angoisse, Elle observe, ressent  ce monde étranger qui l'entoure, l'hiver, l'affection d'un couple, les frustrations. Il y a ces limites imposées par le corps et l'esprit qu'elle ne cesse de franchir. Elle est un oiseau migrateur qui repart vers l'autre été, celui de l'enfance en Nouvelle Zélande. Impression assez difficile à partager sans passer pour une dingue. On retrouve dans ces pages beaucoup d'évènements de sa trilogie Un ange à ma table, biographie exceptionnelle d'un être à part. Janet Frame est une grande sensible qui sait admirablement toucher ce que nous cachons et contenons dans des digues de mots convenus, d'attitudes adaptées. On ne pleure pas normalement en écoutant de la musique classique pourtant elle, si. Cette fragilité là est une émotion pure qu'elle donne à partager sans affectation. Elle parle d'elle avec un détachement plein d'humour tel que malgré le mal être évident du personnage, on sourit et elle fait nôtres ses émotions.
"Il fallait tellement de temps pour s'habituer aux coutumes du monde ; Grace ne pensait pas y arriver un jour"p118
Et puis ce très beau passage :
"Le mot "disparu" avait toujours été, pour Grace, marqué par une émotion différente du malheur personnel qu'inspirait le mot "mort". Il était étrange que "disparu" ait été un des mots préférés de sa mère qui semblait, d'une certaine manière, en contact avec le passé, capable d'en secouer les arbres jusqu'à ce que les fruits d'autrefois tombent sur ses genoux : ces bosquets aux épaisses frondaisons tel le verger souterrain aux ramures d'argent et aux fruits d'or, où quand on séparait un rameau de sa branche mère il émettait un soupir qui résonnait comme une plaintive musique de cor ; tous ces bosquets, les branches remplies d'oiseaux, maintenant disparus, et les mammouths semblables à des meubles victoriens démodés trébuchaient dans les sous-bois, avec leurs minuscules yeux sombres en boutons de tiroirs ; le pauvre bric-à-brac du monde animal..." p142

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