mercredi 4 mai 2011

Un ange à ma table 1,2 et 3 de Janet Frame aux éditions Joelle Losfeld traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Mainard




Editée dans trois petits livres orange, bleu, jaune, Janet Frame raconte comment elle est devenue cet écrivain Néo-Zélandaise de renommée internationale. Le prix à payer pour une telle destinée à quelque chose d'effrayant. Dès l'enfance, avec la poésie pour seul maître, elle a écrit, vibré avec la nature. Son imagination illimitée la transportait avec ses frères et soeurs dans un monde à part, peu entamé par la réalité qui pourtant n'allait pas l'épargner. Janet est la troisième d'une fratrie de cinq. Elle verra impuissante et remplie de terreur son frère anéanti par des crises d'épilepsie, sa soeur de deux ans son ainée mourra noyée comme sa  cadette dix ans plus tard. La famille n'est pas riche et peu conformiste. Les services sociaux s'inquiètent à plusieurs reprises. Il y a une mère étonnante qui surchargée de tâches ménagères transmet à ses enfants les poèmes qu'elle sait de mémoire. Dans ses habits rafistolés avec ses cheveux roux, un physique solide, elle fera une excellente élève, obéissante et timide à l'extrème subissant beaucoup, ravalant ses humiliations et ses peurs.  "Ce qu'elles sont originales ces filles Frame!" Après une tentative de suicide ratée, parce qu'elle se sent acculée et incapable de dire vraiment ce qu'elle ressent, on l'interne en Nouvelle-Zélande. Cet enfermement durera 8 ans. Diagnostiquée schizophrène, on lui fera subir jusqu'à 200 électrochocs. Proposée pour une lobotomie, elle est sauvée grâce à un médecin psychiatre qui découvre qu'elle a réussi à publier un livre pendant son internement. Le récit génial de son enfance dans le premier tome est une véritable rencontre avec un personnage intérieur bouleversant de lucidité, de finesse, d'humour. Sa sensibilité la rend vulnérable, à la fois vibrante de vie et menacée par la peur d'avancer. Sa vie est verticale, strates, enchevêtrements de douleurs, de rencontres et d'émerveillements. Elle, qui ne savait pas se faire comprendre dans ses relations sociales, dévoile une part d'humanité universelle en écrivant. Globalement c'est pour moi un livre marquant, puissant, un vrai coup de foudre. Dans le dernier tome de cette trilogie, elle parle de la création littéraire avec une liberté telle qu'on la reçoit comme une révélation, une évidence inoubliable. Je me suis pâmée (il parait), j'ai lu la dernière page avec tristesse, mais heureusement il y a encore plein de Janet Frame à découvrir...

 p144 Tome 3
"Je me hasardai à espérer que les psychiatres conserveraient intactes leur intégrité et leur vigilance, qu'ils ne cesseraient d'examiner et de mettre à l'épreuve leur propre humanité faute de quoi ils risqueraient de se transformer en dirigeants politiques infectés par le virus endémique de la psychiatrie, de la politique et quelques autres professions - la croyance que la conscience est Dieu."
p171 Tome 3
"Les efforts que je déployais pour parvenir à écrire me firent réaliser l'évidence, la seule certitude en ce qui concerne l'écriture et le cheminement par lequel on devient écrivain : il s'agit d'une chose que l'on doit accomplir et non en rêver, imaginer, voire en parler (l'amour-propre finit alors par se décomposer comme une éponge gorgée d'eau) ; il faut, tout simplement, écrire."

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