mardi 22 février 2011

Rimes féminines de Juliette (poème)

Heureuse (1996)

S’extraire au petit jour de la torpeur du lit
Ouvrir grand les volets sur le vol des courlis
Faire du café très fort le boire à la fenêtre
Respirer expirer et se sentir renaître
Se dire qu’il faudrait bien rentrer chaises et table
Mais attendre pour ça des temps moins délectables

Là descendre au jardin crissant sous la gelée

Redresser les dahlias alanguis de l’allée

Ne pas lire le courrier ne pas lire les journaux

Les jeter tout en tas au loin sur le piano
Puis verser dans le bain l’huile d’amande douce
Faire glisser le peignoir et sombrer dans la mousse
Déjeuner sur la nappe de fil d’Écosse écru
Dans de l’ancien Moustiers d’un peu de jambon cru
Passe-Crassane Louise-Bonne Duchesse d’Angoulême
Faire du choix d’une poire un délicieux dilemme
Cueillir au bord du champ tout ce qui est violet
Scabieuses asters chardons clématites à la haie

Et mêlant à ces fleurs des herbes de toutes sortes

Composer un bouquet pareil aux natures mortes

Puis prendre au vol un livre tomber sur Le Clézio

Mais l’abandonner vite pour un roman idiot
Vers la tombée du jour interroger les cartes
Éplucher quatre pommes pour en faire une tarte

Écouter dans le soir le long aboi d’un chien

Regarder sur les prés la brume qui s’en vient

Un instant deviner des présences invisibles

Frissonner et fermer cette maison paisible
Raviver d’une bûche le feu de cheminée
Le nourrir à minuit des lettres de Renée
Étendre enfin ce corps qui plus nul n’intéresse
Lui accorder sans honte quelque intime caresse

Et surtout oublier l’armoire à pharmacie

Où dort de quoi mettre un terme à ce grand bonheur
Dragées d’Anafranil à prendre quand viendra l’heure
Éteindre s’endormir et faire comme si