mercredi 19 mai 2010

Les coeurs détruits d'Elisabeth Bowen

Un vieux livre déchiré qui sent la feuille humide, l'abandon...Il trainait au fond de la caisse d'un brocanteur. Écrit en 1938, l'héroïne Portia a 16 ans à ce moment là, elle en aurait 88 aujourd'hui. Il y a autour de nous des femmes de cet âge, cette héroïne n'est pas si loin.  Née d'un couple banni car adultère, Portia a toujours vécu d'hôtel en hôtel isolée. Au décès de sa mère, elle part vivre chez Thomas son demi-frère et sa femme Ann dans une maison cossue de Londres. Adolescente en quête de tendresse, de soutien, elle écrit dans son journal toute la vacuité de cette grande maison où dans chaque pièce se joue une solitude, des frustrations. Elle raconte les visites, sans rien ajouter qu'une description minutieuse des attitudes et des conversations. Tout le réel est là, affligeant de cruauté, sans idéal, sans passion. On sait pour elle, que les jeux sont truqués mais elle se débat encore, contre les apparences, en quête d'une vérité que personne ne veut admettre.  Être sincère c'est dévoiler trop de souffrance et risquer de s'y brûler, tout le monde regrette, marche sur un fil de désespoir que le naïf idéalisme de cette fille pourrait briser. C'est l'expérience de la grande solitude humaine, même la bonne participe à cette  comédie du monde par le  nettoyage de la maison. Quand Portia rentre de son voyage au bord de mer, tout la maison rutile comme un marbre poli et froid. Faire disparaitre la saleté comme sont enfouis les sentiments inacceptables que sont le désir, la passion, le plaisir. La frustration des êtres est palpable dans des réponses pourtant simples, cette absence de tendresse dans des corps qui restent éloignés, il n'y a que Portia qui enfreint les règles. J'ai réellement trouvé ce roman magistral, d'une grande finesse.

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