J'ai découvert Pierre Michon  au  détour d'un article du « Magazine littéraire » qui demandait à une  quinzaine d'universitaire français d'établir un palmarès des écrivains  majeurs, de ceux qui marqueront l'histoire littéraire française...Je  connaissais Echenoz (choix qui m'avait laissée perplexe) et Quignard qui  pour moi méritait la palme mais de Michon rien. Alors, il fallait que  je le découvre  et j'ai commencé par Les vies minuscules . Conquise,  j'ai aujourd'hui acheté son dernier livre sans hésitation, convaincue  que j'aurai affaire à de la littérature avec ce qu'elle englobe  d'innovation et de profondeur.  
Pierre Michon                          
Né  en mars 1945 aux Cards (Creuse), son père quitte très tôt le foyer et  sa mère institutrice l'élève seule enfin presque. Les grands-parents  viennent soutenir cet amour exclusif et féminin de leur présence  abandonnant littéralement leur ferme pour « le petit prince » ai-je lu.  Pierre Michon étudie les lettres à Clermont-Ferrand. Il a écrit sa  maîtrise sur le théâtre d'Antonin Artaud. Peut-être est-il passé à   Rodez pas loin d'ici et son crane chauve a essuyé les gouttes tombées  des hautes gargouilles de la cathédrale ?  Il publie son premier texte à  trente-sept ans. Il reçoit en 1984 le prix France Culture pour Vies  minuscules (éd. Verdier), le prix de la Ville de Paris en 1996 pour  l'ensemble de son oeuvre et le prix Louis Guilloux en 1997 pour La  Grande Beune. En 2002, il reçoit le prix Décembre pour Abbés et Corps du  roi (éd. Verdier). Reconnu par ses Pairs donc... Son histoire  personnelle ne cesse de hanter ses textes comme une façon d'appréhender  le monde dont il ne peut s'affranchir : le théâtre et l'amour unique,  exclusif, anxieux et merveilleux d'une mère. Petit Dieu, il crée le  monde à son image dans une écriture mille fois travaillée.  
 Les onze  
Tiepolo,  père et fils, ont peint le plafond du magnifique escalier du Wurtzburg  où Pierre Michon commence par nous faire perdre la tête. Il s'extasie  dans une envolée pleine d'érudition sur cette association familiale  cherchant dans les étoffes, les couleurs,  le visage d'un fils en pleine  jeunesse que l'ombre du temps n'a pas encore éteint. Pour monter  jusqu'aux origines de l'œuvre et s'interroger sur la filiation, en guise  d'introduction, Pierre Michon raconte et rêve, il commence la  mystification prêchant le vrai pour mieux semer le faux. Cette explosion  de beauté, l'art maîtrisé, lui donnent des idées et « il en aura bien  d'autres, sur les marches de cet escalier monumental au cœur des bois de  Franconie, avec son magicien dans les échafaudages, son fils de  magicien qui apprend la magie, et partout ses petits assistants qui  courent, rient, chuchotent, bruissent, font le bleu, le rose, l'or  grimpent à des échelles, tous les esprits de l'air. »  Tiepolo est  l'artiste, un Dieu « exultant dans le petit moment irréversible » .  L'œuvre dépasse la commande établie entre « peintres de très haute  stature et princes nains, les uns toutes couleurs et mythologie, les  autres tous sequins ». Dans le monde de l'art où nous perd l'écriture de  Pierre Michon, tout est possible, jusqu'à faire surgir de Combleux,  ville du bord de Loire le dit François Elie Corentin , le Tiepolo de la  Terreur, célèbre peintre des Onze, pièce majeure du Louvre. Il nous a  bien ferré l'écrivain avec son habileté pour mêler documents et  personnages historiques dans des éléments tout droit sortis de son  imagination. J'avoue que je m'y suis pris les neurones, que je suis  presque allée au Louvre chercher les Onze...François-Elie Corentin œuvre  de Pierre Michon, presque frères et fils d'un père poète disparu sitôt  l'enfant paru et d'une mère pleine d'amour et d'amour en peine.   L'enfance de François-Elie au bord de la Loire sont de magnifiques  passages du livre : « L'enfant court vers la Loire, le canal, elles  courent derrière lui en tenant à pleines mains leur grand panier, comme  elles sont drôles, comme il s'en amuse. Comme il aime les essouffler et  comme en même temps elles l'exaspèrent – et combien aussi il est  malheureux d'aimer qu'elles souffrent. Je ne vois pas le père. » Les  références autobiographiques sont visibles et Pierre Michon regarde le  monde dans le prisme de son histoire et de l'Histoire. J'ai trouvé le  terme « archéologie du soi » dans un article...  Il fait des onze  personnages du tableau « des rejetons égarés de la littérature une et  indivisible, tous : car ils aimaient la gloire, l'idée de la gloire,  plus que tout, leur présence derrière la vitre en fait foi ; et la pure  gloire, en ce temps comme dans les autres, vous venait par la  littérature, qui était le métier d'homme. » Collot, lui, était homme de  théâtre, comédien, dramaturge, un monde cher aussi à Pierre Michon. Donc  un tableau, commandé au cours d'une magnifique scène dans le couvent  des Cordeliers,  qui doit représenter le Grand Comité de l'An II, le  Comité de Salut Public. A partir de là, Michon explique La Terreur dont  Les Onze contient tous les ressorts. La fin du livre est un vrai feu  d'artifice révolutionnaire qui démonte les mécanismes et les comités, «  les partis n'étaient plus que des rôles. Il ne s'agissait plus  d'opinions, mais de théâtre ; cela arrive souvent dans la politique ; et  cela arrive toujours dans la peinture, quand elle représente la  politique sous la forme très simple d'hommes : car les opinions ça ne se  peint pas ; les rôles, si. » p100. Dans un mélange d'humour et de  tragique, multipliant les « Monsieur » pour être plus crédible, il  imagine Michelet tombant évanoui « dans le premier choc que lui causa le  tableau » et écrivant une éxégèse (célèbre) de 12 pages : «  Les douze  pages de Michelet sur Les Onze dans le chapitre III du seizième livre de  l'Histoire de la Révolution française... » et j'ai marché, couru même  chercher ce passage. J'ai relu le livre à l'endroit mais aussi à  l'envers lorsque j'ai été convaincue d'avoir affaire à une espèce de  poisson d'Avril. « Visitons comme des niais que nous sommes » dit Pierre  Michon p 17. Dans ce livre, il faut apprécier l'humour magnifique  (autodérision ?) par exemple quand il parle « de la glandouille poétique  de François Corentin de la Marche » p64, ou de « chausser les hérons,  au cas où les hérons auraient besoin de chaussures » p 71.  C'est un  livre profond qui interroge sur la création, pour qui et pour quoi,  qui  veut expliquer la noirceur et s'étonne de la lumière malgré toutes les  corruptions, comment des œuvres d'art sont en fait des commandes de  puissants un moyen d'auréoler un pouvoir ou de le renforcer. C'est un  grand livre, le style de Pierre Michon a gagné en liberté et c'est beau.  
 

 
 
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