dimanche 14 juin 2020

Les Services Compétents de Iegor Gran Edition P.O.L


Sortir de confinement la tête dans un livre comme les Services Compétents a de quoi faire rire. On les cherchait un peu les compétents, beaucoup se sentaient compétents, chacun selon sa chaire, son égo, sa mousse. La compétence ici concerne la capacité à juger ce qui fait obstacle à l'édification de la révolution communiste mais c'est à une autre échelle que les services contrôlent, ça fait rire. Ce n'est pourtant pas drôle, c'est du vécu, c'est effarant.
Iegor Gran est agé de neuf mois lorsqu'a lieu la perquisition tant crainte et l'arrestation de son père qui met fin au mystère Abram Tertz qui a mené en bateau les services soviétiques de 1959 à 1965, sous Krouchtchev (1953-1964) puis sous Bretchnev (1964-1982). A l'origine, un texte qui parait dans la revue Esprit dirigée par Jean-Marie Domenach sur le réalisme soviétique,"genre majeur dans lequel s'écrivent les grands romans soviétiques depuis Gorki, se peignent les toiles et se sculptent les pierres". Sous prétexte d'expliquer ce style littéraire à des occidentaux, c'est "la  première critique  de l'académisme officiel qui nous parvienne d'un écrivain russe vivant dans son pays" il épingle quelques grands auteurs avec d'insolentes formules et manie l'ironie. Le (d'abord) lieutenant Ivanov puis Capitaine puis Général puis ministre? ( qui n'est pas sot) comprend vite malgré un vocabulaire qui exige d'être "décortiqué à la machette du dictionnaire" que le caractère antisoviétique de l'article ne fait aucun doute. Ivanov... Celui qui ne lachera jamais ce serpent de mer même si il ne sait pas bien comment s'y prendre avec le "boa constrictor".
C'est dramatique cette histoire familiale. Iegor Gran est bien le fils de Siniavski alias Tertz qui a préfacé  Docteur Jivago  et de Maria Rozanova incroyable d'aplomb quand les services compétents débarquent,  il sait manier l'humour et le sarcasme avec brio. La folie du contrôle sécuritaire en URSS,  Iegor Gran le ridiculise. Au delà d'un communisme érigé en religion pour ses vaillants petits soldats, le sectarisme les disperse. A courir après les revendeurs de jean de contrebande, on en laisserait Abram Tertz continuer ses publications antisoviétiques. Les évènements parallèles, comme le recadrage d'un indic qui trompe sa femme, empêcheront toujours les cerveaux d'être totalement concentrés sur le sujet laissant échapper de précieuses ficelles qu'ils n'arriveront plus à rattraper. Iegor Gran met bien en évidence l'énergie déployée pour garder hermétiques les frontières, que ce soit pour attraper son père ou empêcher de rêver sur l’opulence en l'Occident avec cette incroyable exposition Nationale américaine de Sokolniki qui met à mal "les valeurs morales" du communisme. Un jeu du chat et de la souris farci de rebondissements rocambolesques qui finira mal. On admire avec quelle maitrise Maria Rozanova a su faire face. La vraie compétente, c'est elle, qui étouffe sa peur, dans une dernière rencontre avec Ivanov, succulente...

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