mardi 24 novembre 2015

Encore de Hakan Gunday traduit du turc par Jean Descat aux éditions Galaade

Un livre qu'on achète sur une intuition, enfin presque parce que La Dispute m'avait bien mis sur sa trace, puis qui décroche le prix médicis étranger... 
Gaza devient passeur à 9 ans. "Ca ne changeait pas grand chose. J'étais déjà le fils d'un passeur." Il aide son père pendant les périodes d'attente où il faut surveiller les migrants dans le dépôt. On est en Turquie :"Un vieux pont entre l'Orient aux pieds nus et l'Occident bien chaussé, sur lequel passe tout ce qui est illégal." Un jour, par négligence, par désobéissance, il est responsable de la mort de Cuma. Il garde comme phare de cet homme disparu la grenouille en papier offerte sur laquelle sont dessinés les deux Bouddhas de Bamiyan détruits eux aussi, oubliés. Gaza est un adolescent dans un monde sans morale, happé par la corruption, la violence, la domination, la cruauté. Réservoir de haine, il est perverti; il choisit de ruser contre la domination et la peur, expérimentant son pouvoir sur les clandestins, cherchant par là à maitriser son destin aux mains d'un père qui le manipule. Encore parce que c'est le seul mot turc que connaissent les réfugiés, encore de l'eau, de l'air, de l'espoir... Gaza ricane comme si l'espoir était une sacré imposture.
« Prenez un homme, le plus civilisé, habité des meilleurs sentiments, honnête, droit, et même cultivé. Acculez cet homme, poussez-le dans ses retranchement faites-lui sentir le parfum de sa propre mort, annihilez tout repère le rattachant aux codes les plus élémentaires de son humanité, et vous aurez face à vous une bête furieuse." 
 Mais Hakan Gunday le dit bien, Gaza est un survivant. Pourquoi est-il né parce son père était un assassin et parce que «Après tout, ne sommes-nous pas tous les enfants de survivants, de ceux qui sont sortis indemnes de guerres, de tremblements de terre, des grandes sécheresses, des massacres, des épidémies, des occupations, des conflits et des catastrophes ?» 
 Gaza est un homme seul, possédé par le passé. Pas grand chose ne sépare le bourreau des clandestins, si ce n'est une forme de lucidité. Ce parcours sans concession  évoque Orange mécanique de Stanley Kubrick dans son traitement de la violence et même dans sa tentative de résolution par les psychiatres incapable de saisir ce qui se joue dans la tête de Gaza.
Il y a quelque chose de délirant, d'excessif dans l'écriture de Hakan Gunday. Il joue sur les mises en pages, les caractères. Il met beaucoup d'énergie à surprendre le lecteur par son style à l'ironie sourde. C'est poétique, politique, provocateur et mérite absolument d'être lu. Hakan Gunday s'inscrit dans la veine de ceux qui écrivent du côté du bourreau pour comprendre le mal, l'origine du mal.


Aucun commentaire: