jeudi 6 février 2014

La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon aux éditions Actes Sud

"C'est sur la poutre maintenant qu'elle pirouette, éclairée des flashs de lucioles folles, une lumière sautillante. L'enfant semble retenir toutes les respirations. Elle se lance en double salto et vrille et, d'un claquement de doigts-- son  arrivée au sol absolument stable--, elle les délivre, comme si on avait tourné un bouton de volume muet jusque-là, alors le public rugit d'adoration et de soulagement qu'elle ne soit pas tombée." p21
Vous allez passer vos soirées à faire de la gymnastique, retourner sur les lieux du souvenir, c'est inévitable. Lola Lafon a touché une fibre, une poutre enfouie. Nadia Comanechi, roumaine, de quatorze ans, avait arrêté le temps en 1976 en décrochant des 10/10 aux jeux olympiques de Montréal. La fascination est intacte, le malaise, là, palpable à nouveau. Peut-on regarder la force sans frémir à l'intérieur de toutes nos faiblesses, sans voir en arrière l'effrayante figure d'un jeu avec la mort? Peut-on atteindre la perfection sans mourir, se désincarner? Mais qui tirait les fils de cette délicieuse marionnette? A travers Nadia Comaneci, Lola Lafon écrit un récit à mi-chemin entre réalité et fiction, s'inventant des échanges avec la gymnaste , se laissant mener par ce qu'elle pourrait bien dire entre contradictions et aigreur. Plus qu'une biographie, elle déplace les points de vue bien au-delà d'une remise en cause du régime communiste. C'est nous tous qu'elle bouscule sur les différents systèmes politiques, les représentations du corps féminin et ses servitudes. Saisissant, voilà ce qu'il est ce livre, parce qu'il est personnel, il questionne, retourne les masques, va sur les lieux, relit les vidéos pour éclairer les arrières. L'insoumission, le désir, la folie, le prodige... On se rappelle aujourd'hui avec quelle assurance on s'était joint au chœur de ceux qui après avoir encensé Nadia Comaneci, ont dit que la magie était terminée parce que son corps était celui d'une femme. Comment ceux qui ont critiqué les visages blêmes et les corps asexués des gamines, ont pu ensuite utiliser les services de Béla Karolyi pour amener leur équipe au sommet lorsqu'il est passé à l'Ouest? Lola Lafon veut qu'on se regarde et qu'on se dise qu'on n'a pas le monopole de la raison. Entre libéralisme et communisme, le chemin vers la liberté est étroit, celui de la rébellion encore plus indéchiffrable. Très réussie cette démonstration en force qui sous la légereté témoigne de la puissance d'une vraie réflexion, digne de la gymnaste dont le livre refait le périlleux parcours.

p 56 "Nadia C. ne fait aucune remarque mais le lendemain, lorsque je lui demande comment elle explique l'obéissance absolue des gymnastes, elle paraît gênée par ce mot, obéissance : "C'est un contrat qu'on passe avec soi-même, pas une soumission à un entraîneur. Moi c'étaient les autres filles, celles qui n'étaient pas gymnastes, que je trouvais obéissantes. Elles devenaient comme leurs mères, comme toutes les autres. Pas nous. "

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