jeudi 10 octobre 2013

Le jeu des ombres de Louise Erdrich aux éditions Albin Michel traduit de l'américain par Isabelle Reinharez

p36 : L'image n'est pas la personne, songea-t-elle, ni même l'ombre d'une personne. Alors comment peut-on nuire à quelqu'un en le représentant, ou même en s'appropriant, quelque chose d'aussi intangible que son image ?





Le couple est un sujet, une intrigue, une folie, l'ombre de l'enfer tout particulièrement dans  le Jeu des Ombres. Avec deux carnets, le bleu le rouge, Louise Erdrich battit un thriller. Des indiens qui ont perdu leur identité et dont la peinture de Catlin retrouve la substance, elle extirpe une femme aux origines indiennes. Elle a découvert que son mari lisait son journal et va le manipuler en lui en faisant lire un faux. "Quand je t'imagine descendant l'escalier pour aller dans la pièce où j'écris, en sortant mon journal de derrière les vieux dossiers, je ressens des choses insupportables. Je sais que c'est le genre de violation mineure dont d'autres se remettraient. 
Mais pour moi..."
Il la peinte pourtant depuis leur première rencontre la soumettant sous son pinceau à de véritables avilissements dont elle semblait détachée. Mais le fait qu'il pénètre dans ce dernier bastion de l'intime, qu'est le journal est une véritable violence, une ultime perte d'identité après que "Gil avait posé le pied sur l'ombre d'Irène, quand il la peignait". Elle va prendre des masques et de costumes en costumes se découvrir une femme sous emprise. En parallèle, il y a les powows avec les indiens qui ponctuent la narration comme des danses de guerre.  Les enfants  vont développer chacun avec leur personnalité des méthodes de survie pendant que le couple se détruit buvant le vin jusqu'à la lie, sans ivresse. Entre scènes de terreur où la destruction de soi, de l'autre n'est jamais loin et consultations décevantes chez la médiatrice conjugale, le récit creuse profondément l'analyse. Toute la perversion des liens est disséquée dans une structure narrative exceptionnelle. Un regard lucide qui sait dire la rage, la frustration, le désir amoureux, tend en permanence le lecteur vers l'inévitable tragédie. L'écriture polyphonique est parfaitement maitrisée et génialement subtile. Le "je" qui dit "tu" avant de laisser place à un recul vers la troisième personne fait qu'on est littéralement happé. Franchement magnifique à cause d'Irène qui refuse de continuer de fuir en avant et de Gil qui "nourrissait pour sa famille une sorte d'attachement désespéré, car il savait que sur un plan fondamental tous se dérobaient à lui". La démonstration est implacable.  " Combien de fois t'ai-je répété qu'il est affreusement difficile de résister à l'attrait du moment historique? De l'acte, de la vérité immédiate qui change tout? (...) Il y a toujours beaucoup de moments, il n'y en a jamais un seul."
Les ombres sont les vraies maitresses du jeu mais "il est possible de capturer une âme grâce à une ombre. C'était inscrit dans la langue ojibwé. Waahaamoojichaagwaan..."

Louise Erdrich est née en 1954. Elle a reçu le National Book Award en 2012.


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