dimanche 12 mai 2013

Ladivine de Marie Ndiaye aux éditions Gallimard

Malinka est une princesse, celle de sa mère Ladivine, "qui n'était une reine pour personne mais une simple servante et qui finit par s'appeler telle aux yeux de cette fille, Malinka." Désormais, Malinka parlera de la servante et s'efforcera de maintenir une distance pourtant ,"Elle ne méprisait jamais la servante, cette mère étrange" , "Elle éprouvait pour la servante une tendresse infinie, désolée, suffocante". 
Elle veut s'éloigner d'un destin de soumission et d'attente. Pour obtenir une reconnaissance sociale, être admirée plutôt qu'invisible, elle cherchera une forme de perfection que l'école ne lui a pas donné, mais qu'elle trouvera dans son comportement, son travail, son aspect physique très soigné. Que la forfaiture n'apparaisse pas! Elle ira voir sa mère une fois par semaine en cloisonnant sa vie jusqu'à changer de nom et s’appeler Clarisse Rivière. Sa mère ne connaitra jamais son mari ni son enfant. "Elle savait comme sa mère que l'outrage était là, autour d'elles, dans le simple fait que que Malinka visitait sa mère clandestinement parce qu'elle en avait décidé ainsi et qu'à une décision aussi scandaleuse on ne pouvait plus faillir une fois prise". 
Le non-dit destructeur fera son travail de sape. Clarisse Rivière aussi lisse qu'une eau dormante. Jamais un jugement, une opinion :" Dès qu'elle était en situation de donner un avis sur tel ou tel comportement, de juger de l'honnêteté d'une attitude, de signifier simplement ce qu'elle pensait, en bien ou en mal, de telle situation, se dressait devant ses yeux effrayés la silhouette de la servante qui lui paraissait alors la mettre au défi de blâmer qui que ce fût, elle, Clarisse Rivière, qui s'était condamnée elle-même". Puis Clarisse se perdra dans ce mensonge insoutenable dans lequel l'amour-propre est rendu impossible. Quittée par son mari, loin de sa fille, elle rencontrera Freddy Moliger, rebut de la société. Le drame couve, Clarisse Rivière redevient Malinka. La deuxième partie du livre raconte la fille de Clarisse nommée Ladivine sur laquelle se referme le cercle de la culpabilité qui tâche, invisible, de comportements destructeurs les vies suivantes. Marie Ndiaye donne à ses livres une tonalité étrange, à la frontière de la folie et du fantastique, oppressante. Son univers est un monde terrible de gens errants menant cahincaha des vies sociales bien huilées, parfaites. Elle va nous ferrer et nous faire souffrir jusqu'au bout sans qu'on ait la force de lâcher. Un livre très fort et poignant où les blessures déforment à l'infini les corps innocents : (...)"il lui semblait que c'était la mort même de Clarisse Rivière qui les avait bannis du bois enchanté, il lui semblait que le terrible flot de sang les en avait chassés, elle et les enfants, pour les rejeter, à jamais coupables et salis, dans la rue qui sentait les fleurs et le sang."
Le style est beau, coupant, cruel comme la morsure d'un chien. 
Lire aussi ce livre pour la lettre qu'il contient, de parents à leur fils qui ne veut plus venir passer ses vacances en famille près de chez eux. Un monument d'insidieuse culpabilisation et qui se termine pas ce magnifique :"Pour le dire brièvement : vous êtes libres."


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