mercredi 24 avril 2013

La singulière tristesse du gâteau au citron de Aimée Bender traduit de l'Anglais par Céline Leroy aux éditions de l'Olivier




Dans la famille Edelstein, tous ont quelque chose d'étrange.  Dans une ambiance mélancolique et tendre, les acrobaties imaginaires d'Aimée Bender soufflent sur l'histoire l'esprit d'un conte. Rose a un don qu'elle découvre à neuf ans, en mangeant avec gourmandise, un peu à l'avance, le gâteau au citron que sa mère vient de préparer. Le résultat est parfait mais elle y goûte le mal-être et la solitude de la cuisinière. Quand elle mange, elle décode les frustrations et les colères, l'amour et la sérénité. Un bouquet d'émotions se dégage qu'elle préférerait parfois recracher. Il y a aussi son frère, le sur-doué dont l'intelligence sera tout juste remarquable en grandissant. Il fait un étrange baby-sitter avec l'air parfois de revenir de l'au-delà. Incapable de quitter les livres même pour manger, il cherche à s'échapper d'un univers qui l'effraie finissant par se fondre dans le décor. George, son meilleur ami, appréhende le monde dans une dynamique gaieté. Il s'émerveille des capacités de Rose sans vouloir les utiliser pour lui-même. Rose lui voue un amour exclusif parce qu'elle sent en lui le goût du bonheur.  Rose interroge,  demande si trop de perceptions est supportable. Mais à ne pas vouloir savoir, on reste à côté, en marge, sur une ligne de crête, prêts à sombrer dans le décor comme Joseph qui finira par disparaitre. Rose aussi, fuit à sa façon en ne mangeant que des aliments industriels fabriqués par des entreprises lointaines: "des biscuits que personne n'avait faits, ne produisaient que le bourdonnement lointain et régulé de la farine, du beurre, du chocolat et des usines."p 54
Ce livre est rempli d'un charme triste. Une sensibilité à fleur de mots s'en dégage. L'humour dynamise le tout, c'est un roman, une histoire un peu magique à nos oreilles.  On tourne la dernière page quittant à regrets Rose. 

p 72 : "Et moi, je suis quoi? ai-je demandé alors que nous avancions sur la promenade aux lattes de bois branlantes au bout du quai, là où les pêcheurs passaient des journées entières avec leurs vieilles cannes. 
Toi? Elle a baissé les yeux vers l'eau. Mmm. Une forêt pluviale. 
Une forêt pluviale, ça veut dire quoi?
Que tu es luxuriante.
J'ai besoin de pluie?
De beaucoup de pluie.
Et c'est bien?
Ni bien ni mal. Est-ce qu'une forêt pluviale est bonne ou mauvaise?
Et toi, tu es quoi?
Elle a haussé les épaules. Moi, je suis changeante. Comme l'île principale d'Hawaï.
Tu as le droit d'être Hawaï, toi?
L'île principale. Elle a sept climats différents. Toi aussi tu peux devenir Hawaï, si tu veux.
Est-ce que tu es une forêt pluviale?
Je ne crois pas. 
Un désert?
Parfois.
Un volcan?
A l'occasion, a-t-elle dit en riant.
Je suis partie de mon côté vers la rambarde. L'océan avait l'air net et granuleux sous cette grosse chaleur. Tout au bout de la jetée, je me suis postée à côté d'un vieux pêcheur japonais très petit qui m'a dit qu'il taquinait le maquereau depuis six heures et demie du matin. (...) Un seau débordant de poissons était coincé à ses pieds dans une glacière. (...)
Vous avez vu le soleil se lever?
Sur la montagne.
C'était joli?
Il a acquiescé. Orange. Rose.
Je voudrais être l'océan plutôt qu'une forêt pluviale, ai-je dit dans la voiture sur le chemin du retour.
Mais oui, a dit maman dont l'esprit était ailleurs depuis longtemps."

 

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