jeudi 7 juin 2012

Solliciano d'Ingrid Thobois aux éditions Zulma


Avec Ingrid Thobois, j'ai discuté livres à bâtons rompus. C'était bien, on avait quelques coups de foudre en commun et les mêmes déceptions.
Je suis curieuse  de savoir ce qu'Ingrid Thobois aurait pensé de Solliciano si elle l'avait lu et non pas écrit. Question sans fond, on n'est pas lecteur de ce qu'on écrit comme on ne lit pas avec la même objectivité un auteur avec qui on a sympathisé. Ce préambule posé, je me lance.
Une première page magnifique dans un parloir. Marco condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et Norma Jean qui vient lui rendre visite. Chacun dans sa prison, le livre raconte l'enfermement entre une perpétuité imposée par la loi et la folie d'une femme dévastée. Marco a tué. Norma Jean est une prof de philo très appréciée. Marco est inscrit comme auditeur libre à son cours. Il la trouble. En même temps Norma Jean est mariée à Jean qui fût d'abord son psychiatre. Leur couple expérimente un mode de vie qui veut respecter l'espace  vital de chacun. Dans un jeu de miroir subtil, chaque personnage encastre son récit dans celui qui le précède ou qui le suit. La folie ligote, encercle, attache, enferme, étreint comme un monstre ravageur qui détruit et l'individu et son entourage. Norma Jean est dingue mais ne le sont-ils pas tous? C'est un écrit tourmenté qu' offre Solliciano conçu comme successions de scènes cinématographiques déconstruisant le temps qui parfois s'accèlère avant de s'enliser dans l'éternité de l'attente. L'amour  "une partie de dames, un jeu de pion interchangeables dans lequel les uns bouffaient les autres, et vice versa"?
Ingrid Thobois a une belle écriture donnant ainsi à ce roman quelques passages suffisamment marquant pour s'inscrire dans nos mémoires et espérer d'autres livres.
p13 : "Marco se comportait comme un moteur à deux temps: spontanément odieux, aussitôt repenti. Il aurait tout donné pour être capable de demander pardon, à condition que ce pardon rende le monde réversible. Alors, l'existence aurait été suspendue le temps que les assassins rebroussent chemin, que les morts se relèvent, réajustent leurs vêtements, époussettent le sang séché à leur col, rebouchent les trous à leur poitrine, et ils auraient ainsi marché à reculons aussi longtemps que nécessaire, jusqu'à retrouver l'amorce de la vie. Mais ce mot "pardon" ne produisait jamais l'effet escompté. D'autant que Marco ne savait plus qui devait pardonner quoi à qui, qui à qui, maintenant qu'il se trouvait là, dissous dans le hors-champ du monde, à température carcérale proche du zéro absolu, avec pour ennemi premier le temps - toujours trop court ailleurs, toujours trop court avant."
 J'ai trouvé sur le site "envie d'écrire" une petite vidéo où Ingrid Thobois explique comment Sicilliano a pris forme :
 http://www.enviedecrire.com/quel-est-le-declencheur-de-lecriture-ingrid-thobois/

Aucun commentaire: